“Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes”
Heinrich Heine
Le monde attendait une fin bruyante du monde
Mais celle-ci est arrivée toute silencieuse
Et puis le temps passa
Et quand la Fin lança enfin son cri de guerre
Personne ne l’entendit
Sourd à son chant de la mort
Le monde l’attendait encore
Dans le noir d’un plateau vide, du beurre grésille et des grains de maïs éclatent ; légèreté bruyante du pop corn et fin silencieuse d’un monde solitaire — quoi de plus perpétuel que l’assassinat du livre ?
Librement adapté du roman tchèque « Une Trop Bruyante Solitude » de Bohumil Hrabal, le nouveau solo d’Afshin Ghaffarian et de sa compagnie Réformances raconte la danse ultime d’un homme qui s’acharne à brûler les livres. Afshin Ghaffarian découvre le roman de Hrabal en Iran, pays où la censure du livre est omniprésente depuis trois décennies. Exilé en France depuis 2009, sa dernière création dépasse la mémoire personnelle pour interroger l’indifférence du monde face à une tragédie obsessionnelle.
Des centaines de millions de livres brûlent depuis des millénaires. Bien avant destruction de la bibliothèque d’Alexandrie et bien après les autodafés de l’Allemagne Nazie (33) ou de la Révolution Culturelle en Chine (66); que ce soient l’anéantissement des Bibliothèques nationales de Sarajevo (92), Grozny (95), Baghdad (2003) ; ou les incendies de la médiathèque de Villiers-le-Bel (2006) et de l’Institut des Belles Lettres Arabes à Tunis (2010) — la destruction du livre est un geste meurtrier qui vise l’identité collective.
Dans cette production futuriste, les bibliothèques ont brûlé, les transhumains ont remplacé les hommes, et il ne reste plus qu’un livre et un homme qui décide, finalement, de le sauver.
Mais qu’y-t-il à sauver quand l’acte même de lire a perdu son sens ? A travers un récit éclaté en scènes fugitives, le dernier lecteur s’abandonne aux mots et rêve d’amour ; sa danse intrépide et saccadée lutte contre la barbarie ; et ses mouvements, récitatifs de gestes intuitifs et craintifs, reconstituent lentement une vision fracassée de l’humanité.
Mais la fin du temps est arrivée et il est trop tard pour la rédemption et la salvation du monde. Ce livre, il ne détruira pas de même qu’il ne le sauvera pas. Ce livre, il en fera sa chair ; il en mangera les pages aussi, les unes après les autres, et dans un dernier souffle, il exhale les mots derniers pour que rien ne le sépare du Livre qu’il incarne désormais.